dimanche 9 décembre 2007

L'Atelier d'Alberto Giacometti

(…) Les statues sont très hautes, debout devant elles — en glaise brune — ses doigts montent et descendent comme ceux d'un jardinier qui taille ou greffe un rosier grimpant. Les doigt jouent
le long de la statue. Et c'est tout l'atelier qui vibre et qui vit. J'éprouve cette curieuse impression que, s'il est là, sans qu'il y touche, les statues anciennes, déjà achevées, s'altèrent, se transforment parce qu'il travaille à l'une de leurs sœurs. Cet atelier d'ailleurs, au rez-de-chaussée,va s'écrouler d'un moment à l'autre. Il est en bois vermoulu, en poudre grise, les statues sont en plâtre, montrant la corde, l'étoupe, ou au bout un fil de fer, les toiles, peintes en gris, ont perdu depuis longtemps cette tranquillité qu'elles avaient chez le marchand de couleur, tout est taché et au rebut, tout est précaire et va s'effondrer, tout tend à se dissoudre, tout flotte : or, tout cela est comme saisi dans une réalité absolue. Quand j'ai quitté l'atelier, quand je suis dans la rue c'est alors que plus rien n'est vrai de ce qui m'entoure. Le dirai-je ? Dans cet atelier un homme meurt lentement, se consume, et sous nos yeux se métamorpose en déesses.


Jean Genet, L'Atelier d'Alberto Giacometti, Marc Barbezat, L'Arbalète, 1958.
Photo :
Michel Sima (1955 ?)

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